Une petite bourgade du bocage vendéen compte un des taux de chômage les plus bas de France : 5,8 %. La diversité de ses industries et un certain consensus social font la force de ce territoire.
La désindustrialisation n’est pas une fatalité partout. Aux abords des Herbiers, cette bourgade de Vendée nichée à 75 kilomètres au sud-est de Nantes, pullulent les entreprises les plus diverses : agroalimentaire, menuiserie industrielle, construction navale, ameublement, vérandas, mécanique de précision, habillement… Des usines à la campagne, solidement installées sur leur territoire, qui font de cette agglomération besogneuse un véritable cas à part sur la carte de France. Classé seulement au 620e rang des communes hexagonales par sa population (un peu moins de 16.000 habitants), Les Herbiers, avec quelques villages alentour, figure aux tout premiers postes dans le classement Insee des bassins d’emploi, avec un taux de chômage de seulement 5,8 %, contre 10 % au niveau national.
C’est, certes, davantage qu’avant la crise de 2008-2009, mais bien mieux qu’ailleurs. Avec 14.000 emplois recensés dans la communauté de communes et 9 actifs sur 10 en CDI, ce coin de bocage très peu pourvu en transports publics est plus prospère que bien des préfectures ou sous-préfectures réputées plus attractives. « Au total, on compte désormais sur la communauté de communes 29 zones industrielles ou zones d’activités, et il nous reste encore 35 hectares à commercialiser », se félicite Roger Briand, premier adjoint au maire chargé du développement économique et des grands travaux, lui-même ancien patron d’une grosse entreprise de menuiserie industrielle à présent gérée par son fils. Loin des métiers du tertiaire qui se développent ailleurs, l’industrie traditionnelle tient ici toute sa place, englobant 44 % de l’activité économique totale, soit trois fois plus que la moyenne nationale. Le reflet de l’histoire économique très particulière du bocage vendéen.
« Au départ, toutes nos entreprises ont été créées ou développées par des artisans locaux, raconte Roger Briand. Dans les années 1950 et 1960, tel cordonnier s’est lancé dans la chaussure, tel boucher des Herbiers est devenu traiteur. Les familles d’agriculteurs comptaient beaucoup d’enfants [parfois 10 à 15], les paysans n’étaient pas propriétaires de leurs terres, et le machinisme agricole a dégagé beaucoup de main-d’œuvre localement, car il n’y a pas eu beaucoup d’exode rural. Les gens se connaissaient tous, ils ont adhéré à un projet. » Deux ou trois générations plus tard, les entreprises sont devenues de grosses PME, généralement familiales. Aux Herbiers, c’est avant tout un capitalisme de la lignée, le règne des fratries ou des directoires élargis aux gendres. « Je n’aime pas le mot start-up, car cela veut dire qu’au bout de cinq ans, on vend l’entreprise. Ici, on ne fait pas ça », grimace le premier adjoint, dont la société familiale, au départ une simple forge, remonte à… 1745.
Autonomie et sens du produit développé dans son propre bureau d’études, « la Vendée est un des départements les moins dépendants de centres de décisions extérieurs », se flatte le président du Conseil départemental, Yves Auvinet. Exemple de ce dynamisme, Gautier, un fabricant de meubles contemporains (950 personnes) fier de ses racines locales, qui n’achète que du bois made in France, mais ouvre des magasins à Abidjan, Téhéran ou encore Manille. David Soulard a repris le flambeau après son père Dominique ; ce dernier avait monté un LBO en 1999, pour réintégrer l’entreprise dans le giron familial originel et échapper à la mainmise d’un encombrant holding, Seribo, qui lui pompait toute sa trésorerie.
Aujourd’hui, David, quarante-trois ans, est entouré de deux frères et une sœur, qui occupent des postes dans l’entreprise, et résume l’état d’esprit local : « Dans le terreau vendéen, les gens ne sont pas retors. Cela se passe dans la confiance. Ici, il y a un vrai respect du leadership, il n’y a pas entre un entrepreneur et ses salariés une méfiance réciproque, comme dans d’autres régions de France. Entre moi et l’ouvrier, il n’y a que trois niveaux : on a viré tous les petits chefs ! Cela nuit à la remontée des idées, de l’innovation. »
Malgré une conjoncture très difficile sur le marché français du meuble, la firme a investi 10 millions pour moderniser son outil de production et a signé un accord d’entreprise pour remonter le temps de travail à 37 heures (sans versement d’heures supplémentaires), sans provoquer d’émoi ni de référendum comme chez Smart.
Les patrons sont avant tout des hommes d’atelier et des hommes de produit, ajoute cet autre industriel, ce qui facilite les contacts directs avec leurs salariés. Le consensus social est aussi de mise chez Jeanneau, qui représente, sur ses 35 hectares, le plus gros site européen de construction de bateaux de plaisance (950 salariés sans sa centaine d’intérimaires). « Ici, il y a un attachement à l’entreprise, aux valeurs du travail », indique Jean-Paul Chapeleau, un pur produit local, directeur général du pôle Jeanneau Prestige, l’une des branches du groupe vendéen Bénéteau. « Le bassin d’emploi est riche, il compte des métiers très différents. Le syndicat majoritaire est chez nous la CFDT, mais ce sont des Herbretais, ça aide le dialogue… » Malgré son éloignement des côtes, la société, qui fabrique des voiliers et de très grands yachts à moteur, a nettement accru la surface de ses trois usines du cru, et achève les finitions de son nouveau siège social.
Chez son voisin CWF, une entreprise qui conçoit des vêtements de mode enfantine pour des grandes marques (Boss, Timberland, Marc Jacobs…) et travaille surtout à l’export, une grande partie des 250 postes du siège sont très pointus pour des jobs à la campagne : stylistes, développeurs… « Notre position géographique peut paraître comme un handicap par rapport à Paris, mais la région est assez attractive. Nous ne sommes pas si loin de Nantes, et ici les gens sont très fidèles, donc le turnover est faible », résume Freddy Mallet, le président de CWF.
Autre trait remarquable de la région : la grande solidarité entre patrons, et les rencontres régulières au sein de cercles comme Les Herbiers entreprises ou le Centre des jeunes dirigeants (CJD). « Les chefs d’entreprises, ici, se réunissent souvent pour échanger sur leurs problématiques. Et tous mes proches collaborateurs font partie d’un club local », souligne Frédéric Leblanc, président du directoire des transports Mousset, un transporteur routier, spécialisé notamment dans le transport de volailles vivantes. Une trajectoire singulière pour cet ancien conducteur de poids lourd, que Jean-Michel Mousset, héritier de l’entreprise familiale, a choisi pour reprendre le volant l’an dernier. Aujourd’hui, il prépare une ouverture du capital à ses salariés, en principe en 2016, « pour leur donner l’opportunité que j’ai eue ». Et en cas de coup dur dans une industrie particulière, il n’est pas rare que ses voisins reprennent du personnel.
Si tout le monde connaît tout le monde, c’est aussi parce que tous ont fréquenté hier les mêmes écoles privées : St-Gabriel à Saint-Laurent-sur-Sèvre, St-Joseph à Fontenay-le-Comte, Richelieu à La Roche-sur-Yon… De quoi tisser des liens entre les décideurs, qui plus est, souvent piliers des très nombreuses associations locales, historiquement créées par le clergé. Enseignement, culture, sport, harmonies municipales : les curés vendéens, qui tenaient en outre des « caisses rurales » à l’époque où les banques de dépôt n’existaient pas, ont encadré de longue date maintes activités.
Même le grand pôle touristique de la région aux portes de la ville, le Puy du Fou, créé dès 1978 par Philippe de Villiers, porte la marque régionale, avec sa structure originale, dans laquelle une association ad hoc est propriétaire de la SA. Pour chaque euro dépensé sur le site de spectacles et loisirs, 2,80 euros supplémentaires le sont dans les communes environnantes, selon la mairie.
Ce « réseautage » entre les PME des environs se ressent… jusqu’à l’agence de Pôle emploi, qui bénéficie d’un statut exceptionnel par rapport à d’autres régions en crise. « Ici, 85 % des embauches passent par le “marché caché”, c’est-à-dire par le réseau des sociétés, décrit Annie Chiron, directrice de l’agence locale. S’il y a un pépin, la solidarité est là immédiatement. Les entreprises se passent les infos, nous, il faut que nous soyons l’huile dans les rouages. » Dans le bocage industrieux, il existe tout de même un chômage résiduel, lié à l’offre et la demande, mais chaque agent de Pôle emploi gère un portefeuille de « seulement » 130 à 150 demandeurs d’emplois (en dehors des cas d’accompagnement renforcé), un rêve pour leurs confrères d’autres départements.
source : Les Echos
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