les producteurs de raisin corse dénoncent la concurrence déloyale avec le raisin italien
Les producteurs corses de raisin de table, confrontés à une intense concurrence des raisins italiens qui inondent, en pleine saison, le marché local de leurs promotions, n’arrivent plus à vendre leurs produits. Dénonçant notamment des conditions déloyales pour un raisin italien bien moins cher et bien plus traité, ils lancent un cri d’alerte. Pour les soutenir, l’ODARC (Office de Développement Agricole et Rural de la Corse) vient de mettre en place, en urgence, une campagne de communication « Très frais, très près » sur le mois de septembre, appelant les consommateurs à privilégier les produits insulaires de meilleure qualité et plus sains. Explications, pour Corse Net Infos, de Jean-Louis Luciani, président de l’ODARC.
Les producteurs de raisin de table de la plaine de la Casinca, en Haute-Corse, sont très inquiets. Alors que la saison bat son plein grâce à une récolte précoce, leur raisin reste sur son pied de vigne et ne se vend pas, victime d’une invasion subite de raisin italien à prix super cassé. La raison : l’embargo russe. Ripostant aux sanctions économiques prises contre elle par les Occidentaux pour son implication dans la guerre en Ukraine, la Russie a décrété, le 7 août dernier, un embargo total, pour une durée d’un an, sur les produits agricoles occidentaux, notamment les fruits et légumes en provenance des pays de l’Union européenne.
Une décision lourde de conséquences car Moscou est le premier acheteur de fruits et légumes européens et le deuxième importateur de produits agroalimentaires européens. Il est, aussi, le principal marché d’exportation du raisin italien. Conséquence : l’Italie, ne sachant que faire de ses stocks de raisin qu’elle ne peut écouler, en inonde les marchés européens, notamment le marché corse, à des prix producteurs défiant toute concurrence ! Le problème touche d’autres produits, comme la prune ou la tomate. La Hollande déverse, aujourd’hui, en France, ses surplus d’invendus de tomates à prix tout aussi super cassés. Ce dumping commercial s’accompagne d’un risque de saturation du marché intérieur due à la surabondance de produits périssables originellement destinés au marché russe.
En Corse, le prix du raisin italien équivaut à la moitié du coût local de production : 0,80 € le kilogramme contre 2,20 € pour le raisin insulaire. Comme on pouvait s’y attendre, les centrales d’achats des circuits de distribution, notamment des grandes et moyennes surfaces (GMS), hypermarchés et supermarchés, se ruent sur ces promotions inattendues au détriment de la production locale. Même si les GMS implantées en Corse jouent, pour la plupart, le jeu des produits insulaires, les volumes proposés en magasin n’ont aucune commune mesure avec ceux des raisins italiens. Certaines en profitent pour exiger des réductions drastiques sur le prix d’achat. Résultat : les 7 producteurs de la plaine de Vescovato, membres de l’interprofession, ne peuvent plus écouler leurs 1200 tonnes de fruits.
Réunis chez l’un d’eux, vendredi matin, ils ont laissé éclater leur colère et leur inquiétude.
« Notre production est en péril. On ne la vend pas ! L’an dernier, je vendais entre 300 et 400 caisses de raisin par jour, aujourd’hui je vends 20 caisses par jour ! Pour l’instant, nous avons de la chance car il ne pleut pas. Si d’ici à 15 jours, les grossistes et les grandes surfaces n’achètent pas, nous aurons des pertes. C’est la même chose pour les prunes. Nous avons 100 tonnes de prunes en frigo et nous ne trouvons pas à les vendre. Avec l’embargo russe, les produits italiens ont envahi le marché corse. Nous ne pouvons même pas envoyer nos produits sur le continent : à 0,60 € le kilo de prunes et 0,80 € le kilo de raisin, nous sommes perdants ! Ça ne peut plus durer ! Nous sommes très inquiets pour l’avenir. Mon fils est agriculteur, il a des terres et tout pour cultiver, mais il a peur. A qui va-t-il vendre sa production ? On ne peut pas travailler pendant un an pour, au final, jeter sa production ! Il n’y a pas d’avenir ! », se désole Mr Luciani-Giamarchi, producteur de raisin et de prunes.
L’interprofession a, donc, fait appel à l’ODARC qui a décidé de réorienter, en urgence, sa compagne de communication « Très frais, très frais » et de la concentrer sur le seul raisin de table pendant tout le mois de septembre. Elle entend, aussi, alerter l’opinion publique et dénoncer une concurrence déloyale et des problèmes de normes phytosanitaires liés aux produits. « Les traitements phytosanitaires après récolte, qui permettent de conserver plus longtemps les fruits et les légumes, notamment le raisin de table, ne sont plus autorisés en France, mais le sont encore en Italie et en Espagne. Le raisin italien est baigné dans des énormes bacs de produits pesticides… destinés à le conserver plus longtemps. Ce raisin, qui est stocké des semaines en frigo, aura, grâce à ce traitement, le même aspect qu’un raisin qui vient d’être ramassé, mais d’autres effets, des effets nocifs, sur la santé des consommateurs », précise Stéphanie Scavino, animatrice de l’APFEC (Association des producteurs de fruits d’été corses).
Les producteurs locaux, qui pratiquent l’agriculture raisonnée, payent très cher l’inégalité de coûts et de contraintes qui rend les produits espagnols et italiens imbattables en termes de prix de revient. « Les Italiens emploient des produits après-récolte et des conservateurs que nous n’utilisons plus, en France, depuis 20 ans ! Certains sont cancérigènes, d’autres très nocifs pour la santé avec des risques de perte de la vue. C’est incroyable qu’ils puissent les utiliser alors que nous nous n’en avons pas le droit ! Ils utilisent, aussi, des produits pour jaunir le raisin. Ils le ramassent vert et le jaunissent en chambre froide, comme la banane. Ces produits sont, également, interdits par la loi française. Où est l’Europe ? Il n’y a pas d’égalité entre les pays, ni dans l’usage des produits phyto, ni en charges sociales, ni en coûts de la main d’œuvre ! Les Italiens payent les ouvriers albanais, 3 € par jour, alors qu’ici, un ouvrier agricole nous coûte 100 € par jour. Ils payent une caisse 50 cents quand nous la payons 1 € ! » s’indigne Mr Luciani-Giamarchi.
Cette crise conjoncturelle ne fait qu’aggraver une tendance de fond du raisin de table dont la consommation ne cesse de diminuer.
source : Corse Net Infos
Les producteurs peinent à rivaliser avec la concurrence italienne qui propose des prix variant du simple au double. L’Odarc lance une opération de sensibilisation auprès des consommateurs et des distributeurs
Sur les étals de fruits et légumes des supermarchés, c'est le grand écart des prix entre deux grappes de raisin de table. Quatre-vingts centimes le kilo pour l'Italien contre 2,20 euros pour le Corse.
«Impossible. On ne peut pas s'aligner sur leurs prix. Leurs volumes sont dix fois plus importants que les nôtres. Et ils font des promotions beaucoup trop tôt dans la saison. »
Désemparé, Paul-Antoine Cipriani lance un appel à l'aide. «Il faut maintenant sensibiliser les responsables des grandes surfaces et l'ensemble des consommateurs à notre cause. Les gens aiment acheter local.»
Un moment décisif pour l'avenir des producteurs de raisin insulaires. Voilà pourquoi l'Odarc a décidé, dans l'urgence, d'organiser une campagne pour promouvoir le raisin nustrale. « Il est fait ici, il génère de l'emploi, il est propre en carbone car il n'est pas transporté dans des camions frigorifiques puis dans des bateaux. Il est coupé dans la journée pour être dans les rayons des supermarchés le soir. C'est du frais à 100 % », commente Jean-Louis Luciani, le président de l'office de développement agricole et rural de la Corse.
« Très frais, très près. » Tel est d'ailleurs le slogan de cette nouvelle campagne.
À qui la faute? Comment les Italiens arrivent-ils à proposer des prix défiant toute concurrence? Il y a plusieurs réponses plausibles, selon Jean-Louis Luciani. « Cela paraît incroyable, mais je crois que les producteurs subissent les conséquences de l'embargo russe décrété récemment (le 6 août dernier, en représailles aux sanctions économiques prises par l'UE contre Moscou sur fond de crise ukrainienne, N.D.L.R.). La Russie représente habituellement un marché très important pour les Italiens. Aujourd'hui, celui-ci est fermé et les producteurs de raisin transalpin doivent se tourner vers d'autres acheteurs, la Corse notamment. En plus de ce constat, l'Italie fabrique du raisin de table à très grande échelle et cette année, grâce aux nombreux jours d'été pluvieux, les productions sont sorties particulièrement tôt. »
Un tableau noir pour dénoncer une concurrence déloyale. Mais pourtant légale. «C'est justement ce qui est frustrant, tempête Jean-Louis Luciani. Personne n'a les armes pour se battre.»
En effet, il n'existe aujourd'hui aucun moyen pour réguler ou interdire les importations de raisin depuis la péninsule. Les grandes surfaces gardent toute la liberté de choisir leurs producteurs. « Ce qui nous reste à faire, poursuit le président de l'Odarc, c'est de discuter avec les responsables des commerces insulaires, travailler de concert avec eux, les sensibiliser. »
En théorie, le chemin ne semble pas si escarpé. Mais en pratique, ce n'est pas la même histoire. Paul-Antoine Cipriani préfère le souligner :« Quand vous allez voir les directeurs de supermarchés, ils vous disent toujours la même chose : qu'ils dépendent de leur centrale nationale et qu'ils ne prennent aucune décision sur le choix des produits. »
Finalement, ce sont tous les acteurs de l'économie insulaire qui devront jouer le jeu, du consommateur au distributeur. Dans le cas contraire, plusieurs tonnes de raisin corse pourraient bien finir non pas sur les tables mais... à la corbeille.
source : Corse-Matin